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Wattstax, le concert de la fierté noire

Il est souvent désigné sous le terme de Woodstock Noir par les journalistes du monde entier, il a fait l’objet d’un documentaire qui a assuré sa pérennité, il était dans les années 1970 le plus grand rassemblement d’africains-américains jamais organisé en dehors des marches pour les droits civiques, c’était Wattstax, c’était le 20 août 1972 et c’était le jour où la musique, les revendications et le pacifisme ont triomphé.



©Sony Pictures


Août 1965 à Watts, quartier sud de Los Angeles, la ville s’embrase et la tension est à son comble. Suite à une nouvelle altercation en pleine rue entre une patrouille de police et deux jeunes noirs, les habitants de ce district majoritairement composé d’africains-américains descendent le long des boulevards. S’ensuivra une semaine d’émeutes aux allures de guerre civile. L’armée est dépêchée sur place, un couvre-feu est instauré.


À la gronde des habitants scandant « Burn, baby, burn », l’état répond par la répression et la violence. L’intervention sur place de Martin Luther King, partisan de la lutte non violente n’y changera rien. Pire, elle est mal perçue par la communauté de Watts qui le voit alors comme un « Uncle Tom », comprendre « un noir à la solde des blancs ».

La lutte sociale armée remporte à cette époque une adhésion de plus en plus prononcée suite à plusieurs années de mouvements pacifistes jugés « inefficaces ».

Bilan de cette semaine de violence : 43 morts, plus de mille blessés et autant de bâtiments détruits ou largement dégradés.


Une fois le calme revenu, Watts doit se reconstruire mais aussi ne pas oublier et rendre hommage à ceux qui ont payé de leur vie pour avoir exprimé un ras-le-bol.

C’est ainsi que dans les mois qui suivent ces événements, une coalition d’associations noires va fonder le Watts Summer Festival. Dès l’été 1966, le rassemblement va alors remplir sa vocation : célébrer l’héritage culturel et historique noir à travers l’art. Des musiciens côtoient des artisans venus vendre leurs produits et la grande parade de clôture fait figure d’événement incontournable.


C’est dans ce contexte que STAX Records, maison de disques de Memphis et principal concurrent de la Motown sur le marché soul, R&B et blues entre en jeu.

Fondé par Jim Stewart et Astelle Axton, frère et soeur blancs, anciens employés de banques, STAX Records (contraction de STeward et AXton) s’est imposé tout au long des années 1960 en produisant d’immenses vedettes telles qu’Otis Redding, Sam & Dave, Isaac Hayes et Carla Thomas.

Au début des années 1970, les deux fondateurs ont cédé leurs parts et c’est désormais Al Bell, ancien collaborateur de Jim Stewart qui se retrouve à la tête des affaires.

Face à la très policée Motown, STAX s’est, un peu malgré-elle, imposée en relais des luttes sociales des noirs américains.

Al Bell, lui-même noir, cherche donc désormais à capitaliser sur cette image. Le Watts Summer Festival sonne alors comme une évidence.


Al Bell, Président de Stax Records ©STAX Collection - API Photographers Inc.


En ce début d’année 1972, STAX contacte donc l’organisation du festival avec une proposition : organiser un concert de bienfaisance de six heures regroupant tous les artistes du label sous contrat dans le cadre du gala de clôture du Watts Summer Festival.

Fou de joie à l’idée de recevoir ses idoles, Tommy Jacquette, fondateur du festival approuve sans réserve.

Toutefois, Al Bell pose ses conditions : se doit être un concert mémorable à la gloire de la culture noire mais aussi, business oblige, à la gloire de STAX. Partant de là, il n’est alors pas question pour les artistes du label de Memphis d’investir le parc public de Watts, lieu de rendez-vous habituel du festival. Bell voit grand, très grand, ce sera le Los Angeles Mémorial Coliseum, 112 000 places, l’antre des Los Angeles Rams, l’équipe de football américain de L.A.


Pour l’équipe de STAX, organiser l’événement dans un si grand lieu revêt une importance particulière, d’autant qu’ils ont besoin d’images qui en jettent. Faire danser plus de 100 000 personnes, très bien, mais montrer au monde entier que leurs artistes sont capables de remplir un stade et se joindre aux luttes sociales en faveur des noirs, c’est peut-être encore plus important.

C’est ainsi que David L. Wolper et toute son équipe sont engagés pour assurer la captation du show avec des moyens techniques, pour l’époque, dignes d’un tournage de film de studio.



Pick Up the Pièces, Carla Thomas, Wattstax


En ce 20 août 1972, le Los Angeles Mémorial Coliseum affiche complet. Les 112 000 places vendues au prix de 1 dollar se sont écoulées sans peine.

Une large foule majoritairement composée d’africains-américains se presse dans les gradins et va pendant les six prochaines heures s’abandonner à l’écoute des prestations endiablées des stars de la STAX, sous l’oeil des caméras dans les tribunes, au plus proche de la scène et même sur le toit du stade.

Parmi les nombreux talents présents, les électrisants The Bar-Kays, Carla Thomas arborant fièrement sa coupe afro, les élégants Staple Singers, Rufus Thomas tous de rose vêtu et bien sûr l’artiste numéro 1 de STAX Records en ce début des années 1970, Isaac Hayes, venu clôturer le show dans une tenue devenue légendaire : une cape en fourrure derrière laquelle on découvre de larges chaines en or, tel un hommage à ses ancêtres esclaves.



L'arrivée triomphale d'Isaac Hayes lors du concert Wattstax en 1972


Wattstax, le nom donné au concert, est une célébration du Black Power relayé sur scène par de nombreux intervenants prestigieux. Probablement le plus connu d’entre eux, le prédicateur Jesse Jackson, alors très jeune en 1972 fait répéter au public son célèbre discours « I am somebody ». Emblématique de l’évolution de la lutte sociale des noirs aux États-Unis, ce speech, comme les autres qui émaillent le concert, confirme un glissement entre les mouvements pour les droits civiques lors des émeutes de Watts vers un combat pour l’acceptation sociale et contre l’exclusion économique désormais.


Cette dimension sera au coeur du documentaire réalisé par Mel Stuart à l’issue du concert.

Dans ce film, il va proposer un condensé des meilleurs moments du show filmé par les équipes de David L. Wolper entrecoupés d’interviews d’habitants de Watts invités à s’exprimer sans filtre sur des sujets aussi larges que l’inclusion, l’amour et la misère sociale.

Des thèmes également abordés sur un ton humoristique par le comédien Richard Pryor, filmé dans un café/théâtre de Los Angeles peu de temps après le concert et qui par ses apparitions répétées, devient le fil conducteur du documentaire.



Discours de Jesse Jackson en ouverture du concert Wattstax


Distribué par Columbia Pictures, le film sortira en salle seulement quelques mois après le festival, en février 1973 et obtiendra une nomination à l’Oscar du meilleur documentaire.

Progressivement oublié dans les années 1980 et 1990, il fit l’objet d’une restauration numérique en 2003 avant d’être projeté en grande pompe lors du Sundance Film Festival. Mis en avant aujourd’hui surtout pour son intérêt historique et culturel, et plus du tout en tant que film promotionnel pour STAX, il est depuis très régulièrement présenter dans les festivals du monde entier.


Wattstax marque un tournant dans l’histoire de STAX Records. La maison de disques se positionne très clairement du côté de la communauté noire en quête d’empowerment, quitte à perdre une clientèle blanche conservatrice consommatrice de musique noire.

Ce mouvement, en germe depuis la prise de pouvoir d’Al Bell sonne pourtant comme un pari de la dernière chance. Fragilisé depuis le décès d’Otis Redding, la mega-star du label et le départ d’une partie des membres fondateurs, STAX Records peine à se réinventer alors que l’âge d’or de la soul touche à sa fin au mi-temps des années 1970.

En ce 20 août 1972, la maison de disques indépendante de Memphis écrit sa plus belle page mais aussi l’une de ses dernières…


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