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Marvin Gaye : Trouble Man, une bande originale unique

Avec l’album What’s Going On en 1971, Marvin Gaye, le tombeur de ces dames, change radicalement de style, autant physiquement que musicalement.

Le sommet artistique que constitue cet album-concept est dominé par un fort engagement social du chanteur qui ne lui était jusqu’alors pas connu.

Deux ans plus tard, pour l’album Let’s Get It On, il laisse éclater sa sensualité à travers une succession de titres aux paroles sexuellement explicites.

Grâce à cet enchaînement, Marvin Gaye signe les deux plus grands succès de sa carrière. Mais dans l’intervalle, il fait de l’oeil au cinéma et va être engagé pour écrire, composer et enregistrer la bande originale du film Trouble Man.

Le résultat ? Un chef-d’oeuvre oublié du chef de file de Motown Records…

©Motown Records


Alors en pleine percée dans l’industrie du cinéma, Motown Records fait ses cartons et débarque à Hollywood dans le courant de l’année 1972. Tous les artistes sous contrat suivent, à l’exception de Stevie Wonder alors en pleine folie créatrice du côté de New York.



Marvin Gaye de son côté vient de sortir de l’incroyable succès critique et public de l’album What’s Going On, pamphlet social antimilitariste écrit, composé et enregistré quasiment seul lors d’une période particulièrement trouble, suite au décès brutal de Tammi Terrell, sa partenaire de chant.

Alors fragile psychologiquement et peu enclin à défendre son album sur scène, Marvin Gaye repart rapidement en studio.

Fort de son nouveau contrat négocié avec Motown lui offrant une liberté créatrice totale, il s’attelle à l’écriture de l’album You’re the Man, une suite à What’s Going On composée de textes encore plus critiques vis-à-vis de la société américaine des années 1970.


Cependant, plusieurs éléments vont mener à l’abandon du projet. D’abord, Berry Gordy, patron de Motown Records se montre peu convaincu par les premiers enregistrements. Il ne retrouve ni la cohérence ni la magie créatrice du précédent opus. Prétendre proposer une suite à What’s Going On en offrant au public une suite bien moins aboutie, il n’en est pas question.

Ensuite, le déménagement de la Motown à Hollywood va également rabattre les cartes pour Marvin Gaye. Sa période de doute est propice aux nouvelles expériences et c’est donc assez naturellement qu’il va montrer un attrait soudain et prononcé pour le cinéma.

D’abord en tant qu’acteur dans quelques seconds voir troisièmes rôles insignifiants mais surtout en mettant son art et son aura au service d’une bande originale de film.

Trouble Man, Marvin Gaye, Motown Records, 1972


Ne souhaitant pas travestir son état d’esprit d’alors, Marvin Gaye entend s’engager sur un projet en accord avec ses revendications sociales. Et ça tombe bien, en 1972, la Blaxploitation vit les meilleures années de sa courte existence.

Mouvement cinématographique initié aux États-Unis à la fin des années 1960, la Blaxploitation met en scène des personnages noirs dans un environnement urbain souvent violent, en proie à la ségrégation sociale. Souvent réalisés par des metteurs en scène noirs et à destination d’un public communautaire africain-américain, ces films à petits budgets attirent rapidement l’attention des grands studios américains, et notamment la MGM, qui voient là une possibilité de capter un public communautaire peu habitué à fréquenter les cinémas des centres-villes populaires.


L’année précédente, MGM justement, a signé le plus important succès de l’histoire du genre avec Shaft, réalisé par Gordon Parks. Un plébiscite public intimement lié à la bande originale du film composée par la star de Stax Records, alors principal concurrent de Motown sur le marché soul/funk, Isaac Hayes.

D’une certaine façon, voir Marvin Gaye composer une bande originale d’un film de Blaxploitation c’est être témoin de la réponse de Motown à Stax. Mais c’est surtout constater qu’une maison de disques jusqu’alors consensuelle, souhaitant d’adresser à tous les publics, se voit désormais associée à un cinéma communautaire socialement revendicatif.


Marvin Gaye est donc engagé pour écrire, composer et enregistrer la bande originale du prochain film de Blaxploitation de la 20th Century Fox, Trouble Man.

Réalisé par Ivan Dixon, Trouble Man suit les péripéties de T., détective privé et figure locale noire des ghettos du Sud de Los Angeles qui doit fuir la police et le crime organisé après avoir été arnaqué et injustement accusé de meurtre lors d’une mission de routine.



Film-annonce de Trouble Man, Ivan Dixon, 20th Century Fox, 1972

Pour la bande originale, Marvin Gaye va proposer 12 titres en laissant une large place aux compositions instrumentales.

En effet, sur l’intégralité de l’album, seuls cinq morceaux sont marqués par sa présence vocale envoutante.

Surtout, en travaillant pour la première fois avec le synthétiseur Moog prêté par Stevie Wonder, qui en fait alors à cette époque l’instrument de base de ses compositions à venir (voir article 1972 - 1976 : Stevie Wonder, la période classique), Marvin Gaye parvient tour à tour à exprimer l’atmosphère poisseuse dans laquelle T. évolue mais également à offrir des plages plus douces et enivrantes qui s’accordent parfaitement avec sa voix, comme pour le titre éponyme, Trouble Man.


Comme cela pouvait être attendu, la bande originale, 4e des Charts Soul dans le courant de l’année 1972 rencontre un succès public et critique bien plus net que le long-métrage Trouble Man, classé pour le New York Times parmi les 10 pires films de 1972. Une année, on le rappelle, marquée par le succès du film Le Parrain de Francis Ford Coppola.


Pour Marvin Gaye, l’intérêt est ailleurs. Il voit d’abord son travail de compositeur de musique de films considéré de manière aussi positive qu’Isaac Hayes pour Shaft et Curtis Mayfield pour Superfly, la même année. Aussi, cela lui permet d’affirmer une nouvelle fois son engagement contre la ségrégation, la pauvreté et la drogue à travers sa musique, avant d’entamer un nouveau virage avec le très érotique Let’s Get it On, dès 1973.


Pris en étau entre les mythiques albums What’s Going On et Let’s Get it On, Trouble Man injustement peu connu n’en reste pas moins l’un des albums les plus importants de Marvin Gaye.

Ce fut une expérience particulièrement réjouissante pour l’artiste : « J’ai pris du plaisir à écrire une musique de film. Cela m’a donné envie d’en faire d’autres. C’est probablement, je pense, l’un de mes plus beaux accomplissements dans la musique. » affirma t-il quelques années plus tard.

Malgré son enthousiasme affiché et son envie de réitérer l’expérience, Trouble Man restera la seule bande originale signée par Marvin Gaye, disparu brutalement en 1984.


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