L’histoire a prouvé qu’un film de Blaxploitation, long-métrage avec des acteurs noirs à destination d’un public noir, n’est jamais aussi populaire que quand il est accompagné d’une bande originale composée par un artiste noir populaire.
En 1976, lorsque Warner Bros lance la production de Sparkle, film musical librement inspiré de l’histoire du groupe The Supremes, cette règle a déjà largement fait ses preuves. D’autant que Curtis Mayfield, engagé pour composer la bande originale du film, est déjà rodé à l’exercice.
Ce que Warner Bros ne sait alors pas encore, c’est qu’il va amener dans ses valises la reine elle-même, Aretha Franklin.
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Ancien membre du groupe The Impressions, Curtis Mayfield s’est construit une solide réputation depuis ses débuts triomphaux en solo avec l’album Curtis en 1970. Le titre Move On Up lui ayant immédiatement offert un statut d’icône internationale.
Il n’est pas non plus en reste dans l’industrie du cinéma puisque sa première bande originale, celle du film Superfly, au-delà de promouvoir le film, le surpasse totalement et devient dès sa sortie un classique instantané.
Ainsi, lorsqu’en 1976, il s’engage avec Warner Bros pour la composition de la bande originale de Sparkle, et alors qu’il a déjà travaillé avec le studio sur les films Superfly et Let’s do it Again, Curtis Mayfield a clairement le profil de l’homme providentiel.
Sparkle suit l’ascension puis la séparation d’un groupe de gospel/soul composé de trois soeurs. Irène Cara, qui obtiendra une notoriété internationale quelques années plus tard avec le film Fame, Lonette McKee et Dwan Smith sont choisies pour interpréter les trois sœurs. Toutes trois sont, en plus d’être actrices, des chanteuses.
C’est donc tout naturellement que Warner Bros les associe à Curtis Mayfield afin qu’ils enregistrent, ensemble, les morceaux qu’il a composé pour l’occasion.
Particulièrement exigeant et pointilleux, Mayfield fait rapidement part de son scepticisme au studio suite aux premiers enregistrements. Ses compositions empruntent de soul et de gospel agrémentées de sa touche funk, se marient peu avec le style vocal des trois jeunes femmes.
Bande annonce du film Sparkle, réalisé par Sam O'Steen, Warner Bros, 1976
Dans le même temps, chez Atlantic Records, une couronne est en train de vaciller : celle de leur plus grande star sous contrat, Aretha Franklin. Alors qu’elle a vécu une éclosion et une gloire monumentale au sein de la maison de disques au milieu des années 1960, elle lutte, plus de dix ans après, pour rester en haut de l’affiche. Une nouvelle génération de soul ladies, Chaka Khan et Roberta Flack en tête, est prête à prendre le relais.
Les faibles ventes de ses deux derniers albums en 1974 et 1975, pourtant bien accueillis, ne plaident pas en sa faveur. Il lui faut un tube pour relancer sa carrière, et vite !
Chez Atlantic Records, deux visions s’opposent alors. Celle de Jerry Wexler, le vice-président et mentor artistique de Miss Franklin depuis son arrivée dans la maison de disques ne montre plus une farouche volonté de travailler avec la reine de la soul et pire encore, ne s’oppose pas à son départ. L’autre vision, c’est celle du cofondateur et président d’Atlantic Records, Ahmet Ertegun. Il estime qu’elle a encore la capacité de sortir un tube et qu’il lui faut pour cela un nouveau producteur capable de l’accompagner.
Ce dernier sait que l’on impose rien à la reine, il lui propose alors de choisir. Ertegun dresse une liste d’artistes avec qui elle pourrait travailler sur son prochain album, il lui soumet, et sans surprise, elle jette son dévolu sur Curtis Mayfield.
Informé de la volonté d’Aretha Franklin de collaborer avec lui, Mayfield se montre immédiatement très enthousiaste. Mais plutôt que d’attendre qu’il en ait fini avec la bande originale de Sparkle, il la voit comme celle capable de sortir ce projet de l’impasse.
Malgré sa non-présence à l’écran dans le film, Warner Bros ne s’oppose pas à l’idée. Bien au contraire, le studio est tout à fait conscient de l’atout commercial considérable que représente la diva. Et peu importe si les chansons interprétées par le trio d’actrices dans le film ne se retrouvent pas dans la bande originale. Faites champ libre, la reine arrive !
Au sein de Curtom Records, le studio d’enregistrement de Curtis Mayfield à Chicago et en seulement 5 jours, les deux artistes vont enregistrer la totalité des 8 titres que composent la bande originale de Sparkle.
Plus qu’une simple direction artistique, c’est un travail en binôme qui se met en place. Au-delà de la compréhension des attentions du compositeur, Aretha Franklin nourrit les parties vocales avec sa voix soul et ses inspirations gospel, comme dans le titre éponyme de l’album.
Sparkle, Aretha Franklin, 1976
Ce travail ne se fait pourtant pas sans tension. Leurs divergences artistiques sont nombreuses, leur caractères s’entrechoquent et Franklin reproche à Mayfield d’avoir une idée bien trop arrêtée sur ce qu’il souhaite obtenir. Cette situation engendre alors un sentiment d’étouffement et une forme d’autoritarisme de son binôme qu’elle ne manque pas de lui faire remarquer.
L’interprète de Respect reste toutefois consciente qu’elle est arrivée sur un projet qui à l’origine n’est pas le sien et ne semble ainsi pas en tenir rigueur outre mesure à Curtis Mayfield. La poursuite de leur collaboration sur l’album suivant d’Aretha Franklin, Almighty Fire en 1978, en est probablement la meilleure preuve.
Quoi qu’il en soit, au printemps 1976, lorsque la bande originale de Sparkle sort, le succès est immédiat. Avec plus de 500 000 exemplaires vendus, il devient disque d’or et prend la première place des Charts soul. Surtout, alors que le film peine à s’imposer en salles et se voit boudé par la critique, l’album de Mayfield et Franklin reçoit un accueil dithyrambique. C’est d’ailleurs, elle qui récolte le plus les lauriers d’une presse impressionnée par sa performance vocale et son adaptation éclair à l’univers musical du compositeur. Le magazine Rolling Stones parle même « d’album le plus excitant d’Aretha Franklin depuis un certain temps ».
Loin de faire transparaître les difficultés liées à l’achèvement du projet, la bande originale de Sparkle s’écoute comme l’oeuvre de deux artistes animés par un amour profond des genres musicaux dans lesquels ils sont devenus d’emblématiques ambassadeurs.
Ayant permis à Aretha Franklin de retrouver le haut des classements de ventes d’albums et à Curtis Mayfield de poursuivre un parcours sans faute, cet album d’une beauté renversante n’a, aujourd’hui encore, rien perdu de son aura, et se place plus que jamais parmi les oeuvres incontournables de leurs auteurs.
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