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Ain't No Sunshine de Bill Withers : les origines d'un standard de la soul

Le 30 mars 2020, alors que le monde entier plongeait dans le chaos, une figure aussi mythique que discrète de la soul nous quittait.

Pris dans le marasme d’actualités anxiogènes, la nouvelle du décès de Bill Withers passa presque inaperçue.

Si son nom est connu des tous les amateurs de soul, ce sont avant tout ses chansons qui ont forgé sa légende.

Just the Two of Us, Lean On Me, Use Me et surtout Ain’t No Sunshine sont des titres que l’on entend encore quotidiennement sur les radios du monde entier.

Ain’t No Sunshine justement, ballade mélancolique reprise et samplée plusieurs centaines de fois, fut la première pierre de l’édifice discographique passionnant du natif de la campagne ouvrière de Virginie-Occidentale.

Retour sur la création d’un standard planétaire sous influence cinématographique.



Début des années 1970, Slabfork, bourgade industrielle de moins de 1 000 habitants au coeur de la Virginie-Occidentale, petit état rural de l’Est américain pas franchement réputé pour sa production musicale.

Là-bas, Bill Withers, trente ans, tout juste, travaille à l’usine du coin. Ses journées sont rythmées par l’assemblage de cabines de toilette pour les avions Boeing.


Du genre discret et solitaire, l’homme aime passer son temps libre à gratter sa guitare et composer quelques chansons. Il a bien essayé de se professionnaliser en approchant quelques maisons de disque, mais à l’aube des 70’s, un homme seul à la guitare acoustique, pas franchement charismatique de prime abord, ça ne fait pas rêver. L’époque marque la consécration du funk comme genre dominant dans l’univers de la musique noire américaine.


Durant son temps libre, Bill Withers regarde également des films et l’un d’eux va particulièrement le marquer. Il s’agit du Jour du vin et des roses de Blake Edwards, sorti au cinéma en 1962. Mettant en scène Jack Lemmon et Lee Remick, le film raconte l’histoire d’un alcoolique mondain, en proie à la dépression, qui va rencontrer une femme l’aidant à remonter la pente avant de plonger à nouveau à ses côtés.


Une fois le film terminé, Withers part se balader et repense à ce qu’il vient de voir. C’est alors que les paroles de ce qui deviendra Ain’t No Sunshine commencent à lui venir : « C’est quelque chose qui m’a traversé l’esprit en regardant le film et a raisonné avec un événement qui s’est passé dans ma vie dont je n’ai pas conscience. »


Ain't No Sunshine, Bill Withers, Just as I am, 1971


Quelques paroles et une ligne de guitare, voici ce qui compose la démo que reçoit Clarence Avant sur son bureau.

Avant, surnommé aujourd’hui « The Black Godfather », est un entrepreneur autodidacte connu pour avoir été un intermédiaire pour de nombreux artistes noirs américains devenus célèbres.

À la fin des années 1960, il monte sa propre maison de disques, Sussex Records. Aucun hommage à la province anglaise ici, simplement la contraction des deux passions de Clarence Avant, le succès et le sexe.


Au moment où il fait la connaissance de Bill Withers, le seul fait d’arme de Clarence Avant avec Sussex Records est d’avoir sorti l’album Cold Fact de l’imprévisible, mais non moins mythique Sixto Rodriguez. Un bide commercial sans appel.


Malgré le côté peu dégrossi de la démo envoyée par l’artiste, Clarence Avant perçoit le potentiel d’Ain’t No Sunshine et de son auteur. Il propose de lui signer un deal pour l’enregistrement et l’édition d’un album. Bill Withers, qui ne dispose alors d’aucune autre offre, accepte.


En studio, l’inexpérimenté chanteur de Slabfork fait équipe avec Booker T & The MG’s, le groupe de Rythm & Blues instrumental phare de Stax Records. Tous les membres du groupe à l’exception de Steve Crooper collaborent à la création de cet album.

Lorsqu’il se présente devant ces légendes de la soul de Memphis, Withers peine à cacher son intimidation teintée d’admiration.

Muni de sa guitare, il leur présente alors sa version d’Ain’t No Sunshine. Une version pas tout à fait terminée puisqu’en attendant de composer le dernier couplet, il remplace les paroles par 26 « I know » répétés en boucle.


Booker T. & The MG's (Al Jackson, Booker T. Jones, Donald "Duck" Dunn et Steve Crooper) © AP/SIPA

Cette courte phrase énoncée encore et encore offre une profondeur dramatique et mélancolique à la chanson. Booker T. Jones s’en rend bien compte et persuade alors le chanteur de laisser ce couplet intact. « J’étais un ouvrier qui travaillait à l’usine. Donc quand ces musiciens accomplis m’ont dit de le laisser comme ça, je les ai écouté. » dira plus tard Bill Withers


Booker T. Jones a très certainement puisé dans son expérience personnelle pour en venir au fait que c’était la bonne décision à prendre. En 1967, lorsqu’il est en studio avec Otis Redding pour l’enregistrement de (Sittin’ On) The Dock of The Bay, l’ultime hit de la vedette de Stax Records, Booker T. voit l’artiste interpréter le dernier couplet en sifflotant, cela en attendant d’en écrire les paroles. Sauf que le décès tragique d’Otis Redding, quelques jours après cette session d’enregistrement oblige la maison de disques à sortir le titre tel quel. Ce sifflement joyeux à la fin de (Sittin’ On) The Dock of The Bay deviendra pourtant un élément iconique de la discographie de l’artiste.


Sorti en 1971, Ain’t No Sunshine s’empare rapidement de la 3e place du Billboard Hot 100 et la 6e position des charts R&B.

Surtout, il lance immédiatement la carrière de Bill Withers qui connaît un succès similaire avec son premier album Just as I am, comprenant en plus d’Ain’t No Sunshine, un autre standard incontournable de sa discographie, Grandma’s Hands.


Depuis, plusieurs centaines d’artistes à travers le monde ont proposé leur version de la chanson. De Michael Jackson à Sting, en passant par Nancy Sinatra, Isaac Hayes, Neil Diamond, Al Jarreau ou Lyn Collins, tous ont repris cette ballade métaphorique sur le manque de l’être aimé et la solitude.


Le cinéma s’en est également emparé puisqu’on ne compte plus les films qui ont eu recours à la chanson de Bill Withers pour illustrer musicalement la détresse sentimentale de leurs personnages.

L’exemple le plus connu se trouve dans le film Coup de Foudre à Notting Hill de Roger Michell sorti 1999. Dans cette scène en plan-séquence, le personnage interprété par Hugh Grant traîne son spleen à travers les quatre saisons au rythme du standard de Bill Withers.


Ain't No Sunshine de Bill Withers dans Coup de Foudre à Nothing Hill, Roger Michell, 1999


Ain’t No Sunshine synthétise parfaitement le style simple, vibrant et dépouillé d’artifices de Bill Withers. D’autres grands titres et albums viendront jalonner la carrière de ce soul man atypique qui se retira du milieu de la musique au milieu des années 1980, avec la même discrétion et humilité qu’à son arrivée.


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