Kinshasa 74, un lieu et une date qui résonnent fort dans l’esprit de tous les amoureux de sport.
Kinshasa 74, le plus grand événement culturel de l’histoire de l’Afrique au XXe siècle.
Kinshasa 74, là où Mohammed Ali livra un combat de légende contre George Foreman pour reprendre le titre de Champion du Monde des Poids-Lourds.
Kinshasa 74, le jour où les stars de la soul américaine enflammèrent le Zaïre.
© Howard L. Bingham
Six semaines avant le « combat du siècle », sur le lieu de l’affrontement à venir, le musicien sud-africain Hugh Masekela et le producteur américain Stewart Levine organisent le festival Kinshasa 74, trois jours de concert mélangeant le meilleur de la musique africaine et de la soul/funk noire américaine, avec en point d’orgue le concert de James Brown.
Un retour au source pour la diaspora afro-américaine captée par les caméras et compilé dans le documentaire Soul Power de Jeff Levy-Hinte.
Il y eu d’abord le documentaire oscarisé When We Where Kings de Leon Gast sorti en 1997 et encapsulant le contexte historique et l’atmosphère autour du « Rumble in the Jungle » entre Mohammed Ali et George Foreman.
Plus de 40 heures de rushs compilés dans un film d’1h26.
Forcement avec toute cette matière, plusieurs documentaires adoptants différents points de vue semblaient alors possibles.
C’est ainsi qu’au milieu des années 2000, Jeff Levy-Hinte, chef monteur de When We Where Kings, ressort les 38h de rushs non-utilisés pour proposer une oeuvre en miroir inversé. Quand le film de 1997 utilise le festival comme toile de fond au combat, Soul Power sorti au cinéma en 2008, évoque brièvement l’affrontement pour donner du contexte aux trois jours de concert.
Du même événement découle alors un documentaire sportif et un autre musical.
Un retour aux racines pour la diaspora africaine
Soul Power s’ouvre coté backstage avec la panique du report du combat de six semaines lié à une blessure de Foreman.
Le montage alterne alors entre les discussions dans les bureaux du festival avec les financiers et l’installation de la scène dans le stade Tata Raphael de Kinshasa.
Pour monter cette scène à la hauteur de l’événement, une armée de techniciens américains munie de leur propre matériel son et lumière arrivée quelques jours plus tôt s’affaire déjà sur place. Les artistes sont déjà bookés et prêts à partir, il n’y a plus moyen de reculer sous peine que le festival n’ait jamais lieu.
Souvent occulté au profit du combat Ali/Foreman, ce festival marque pourtant une première. Jamais un groupe d’artistes noirs américains ne s’était rendu sur la terre de leurs ancêtres pour donner un concert.
Pour ce saut dans l’inconnu, ils sont nombreux à répondre à l’appel. Parmi eux, Bill Withers, The Spinners, Sister Sledge, B.B. King et bien sûr James Brown.
Tous semblent être sincèrement animés par une même volonté, se reconnecter avec leurs racines et découvrir, au-delà des légendes et des rumeurs, ce qu’est réellement l’Afrique.
Ali déclare d’ailleurs à ce sujet, aux journalistes, peu de temps après son arrivée en terre Zaïroise : « Pour moi (l’Afrique) c’était la jungle et des bestioles qui vous attaquent…En fait, il y a de petits hôtels, des boîtes de nuit, ce n’est pas si mal ! ».
C’est exactement ce sentiment que traduit la stupeur sur les visages des artistes quand ils descendent l’un après l’autre de l’avion au milieu de la nuit, accueillis sur le tarmac au son des Zaïrois de Trio Madjesi, après leur long voyage aussi musical qu’alcoolisé depuis les Etats-Unis.
Ils s’attendaient à être confronté à un pays sauvage et pauvre, mais découvrent finalement une ville occidentalisée où chacun possède sa propre voiture.
James Brown sur scène lors de Kinshasa 74
Si leur intention première paraît noble, la réalité que traduit le documentaire l’est un peu moins. Les artistes de la diaspora, même en terre africaine conservent leur posture de star, restent majoritairement entre eux et se mélangent donc finalement assez peu à la population locale. Ce que ne capte par contre pas les caméras de Leon Gast et qui pourrait expliquer cela, ce sont les difficultés de déplacement des artistes américains sur place. La Soul Woman Etta James se souvient : « Je voulais sortir, me mélanger aux gens et ressentir le continent de mes ancêtres. Mais vous ne pouviez aller nulle part tout seul. Les hommes de Mobutu vous escortaient sur les lieux que vous vouliez voir. »
Un événement culturel au service du pouvoir
Si la volonté des Stewart Levine et Hugh Masekela de faire de ces trois jours de festival un événement hautement politique en proposant un line-up alternant artistes africains et américains est manifeste, elle ne rejoint pas forcement celle du promoteur Don King qui attend de ces concerts un bel emballage médiatique en amont du combat avec « les chanteurs afro-américains les plus dynamiques » et encore moins celle de Mobutu Sese Seko, chef d’état zaïrois conscient qu’une telle réunion de stars offrira une image positive d’un pays tournant pourtant progressivement le dos à la démocratie.
Ce conflit d’intérêts entre les trois parties prenantes à l’origine du festival fini par brouiller le message. Kinshasa 74 ressemble alors au mieux à une célébration du panafricanisme et une sobre affirmation d’un Black Power quand Wattstax à Los Angeles et le Harlem Cultural Festival à New York mêlaient musique et politique pour n’en faire qu’une entité indissociable.
La faute aussi aux protagonistes les plus mis en avant dans Soul Power, les artistes américains. Quand The Spinners et Bill Withers enchainent leurs « love songs » de la même manière que s’ils chantaient sur une scène de Boston ou Philadelphie, B.B. King offre à la foule africaine ses classiques et James Brown propose un show survitaminé ponctué par un I’m Black & I’m Proud de circonstance.
Des prestations de hautes volées mais sans prises de risques, contrairement à certains de leurs homologues africains. En effet, comment ne pas s’arrêter sur le passage sur scène de la sud-africaine Miriam Makeba, se moquant allègrement des blancs qui ne savent pas prononcer son nom d’origine et qui, ne faisant pas d’effort de compréhension, ont renommé sa chanson Qongqothwane, « Click Song » à cause des battements de langue sur le palais caractéristiques de ce morceau.
Qongqothwane "Click Song" - Miriam Makeba
Avant tout dans un soucis éditorial, le documentaire Soul Power laisse une place limitée aux artistes africains et minore par conséquent leur importance dans ce festival symbole d’une réunion avec la diaspora. Abéti, Tabu Ley Rochereau et autres Franco sont simplement aperçus.
Toutefois, comme le confirme Hugh Masekela, cela représentait déjà à l’époque une réalité dès l’après-festival, au moment d’éditer l’album du concert dans les pays occidentaux : «C'était plus simple de vendre leurs artistes américains à un public peu familier de la musique africaine».
Malgré la réussite symbolique et médiatique de Kinshasa 74, duquel Don King et Mobutu ressortent pleinement satisfaits, l’échec, s’il faut en trouver un, est à chercher plutôt du côté de l'artistique entre une musique américaine et africaine évoluant en vase clos, sans mélange.
Parfois présenté comme le Woodstock Noir, à tord car d’une teneur contestataire trop faible et contrôlé par un pouvoir politique en place, Kinshasa 74 se voit replacé dans son contexte historique par le documentaire Soul Power qui écorne le joli vernis glacé offert par le temps.
Le documentaire n’en reste pas moins un régal pour les amateurs de soul & funk par sa capacité à montrer James Brown et consorts côté backstage en train de s'amuser, tenter de mettre des mots et trouver un sens profond au coeur d’une opération de communication avant tout aux services des intérêts mercantiles de Don King et politiques de Mobutu.
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